Sciences, Philosophie, Histoire – UMR 7219, laboratoire SPHERE

Chargé de recherche, CNRS laboratoire SPHERE (UMR 7219), Université Paris Diderot. Contact me : daniel.ptrk.morgan [at] gmail.com  Projects collectifs  Parcours de recherche  Publications  Communications (depuis 2015)  Gestion de la recherche (depuis 2015)  Valorisation

Thèmes de recherche

Mon travail porte sur l’histoire des sciences astrales et mathématiques, de la religion, du rituel, des sports et de la culture intellectuelle et manuscrite en Chine ancienne. La période priviligée, entre le Ier et le VIIe siècle de notre ère, est celle du déclin, de la fragmentation et de la reconsolidation de l’empire ; les questions mêmes de fragmentation et de la construction d’unité se trouvent justement au cœur de mes recherches.

Incubées dans le projet européen Mathematical Sciences in the Ancient World (SAW), mes recherches ont pour but de problématiser des discours monolithiques sur l’histoire des sciences exactes en Chine et de fournir une alternative solide fondée sur la pluralité et l’individu. Pour résumer, l’idée est de décomposer « la science » et « la civilisation » qui sont souvent le sujet de telles études en leurs éléments constitutifs — en catégories d’acteurs, en légendes, en genres littéraires, en institutions publiques, en communautés d’experts et en praticiens individuels — afin de révéler la manière dont ils se croisent, s’écartent et évoluent en parallèle. Par exemple, une fois décomposée, « la science chinoise » cède la place à des catégories distinctes dont se servent nos sujets historiques — tiānwén (« signes célestes »), lì (« ordonnancement »), suàn (« calcul »), ou encore l’hémérologie (la divination du calendrier) qu’ils différencient des sciences du ciel et des nombres. Aucun de ces domaines ne se développe en vase clos, toutefois ce n’est qu’en reconnaissant la nature de leur circonscription qu’on arrivera à comprendre ce qui passe de l’un à l’autre, ce qui reste séparé et, dans l’un ou l’autre de ces cas, pourquoi. Compte tenu du nombre de personnages qui travaillaient sur plusieurs de ces domaines pendant la période considérée, la polymathie nous fournit un vecteur naturel pour examiner le transfert des idées. Cette question me renverra aussi à celle de l’univers mental du polymathe, en interrogeant comment l’individu a concilié divers ensembles de connaissances et en a compartimenté d’autres dans et au-delà de l’histoire des sciences.

Deux exemples suffissent d’éclairer à quoi ça ressemble.

Le premier est mon travail collaboratif avec Karine Chemla sur le manuscrit Suàn shù shū (Écrits sur procédures mathématiques) de la tombe 247 de Zhāngjiāshān (scellée ≥ 186 avant notre ère). Notre analyse graphologique du manuscrit révèle d’une part que deux mains alternent entre et à l’intérieur des parties textuellement et codicologiquement intégrales du manuscrit, et d’autre part que l’une de ces deux mains paraît également dans quatre sur sept des autres textes de cette bibliothèque — textes sur la médecine, la philosophie, le droit et le journal intime du défunt. Auparavant traité comme une collection arbitraire de míngqì — des « faux » funéraires — et divisé entre les spécialités modernes intéressées, ce corpus dévoile son unité à la lumière de la graphologie : l’unité de son appartenance à, et de sa création par, un homme particulier. Lues comme ça, les traces écrites de cette main nous ont aidés à cerner ses interactions avec les autres membres de la communauté de mains présentes dans cette tombe et à reconstruire une image plus claire de l’identité de cet homme inconnu à travers l’archéologie, les études manuscrites, la médecine, la philosophie, le droit et les mathématiques.

Le second concerne mes recherches sur l’historiographie des sciences astrales durant la période pré-moderne. Face à nos sensibilités post-modernes au sujet de l’« empirisme » et du « progrès », je m’intéresse à la question de comment traiter les concepts similaires au centre du discours médiéval sur l’histoire de l’astronomie : la poursuite obsessionnelle de l’« étroitesse » (mì) des résultats prédictifs en tant que « vérifiée » par « expérience » (yàn) et « accumulation » (jì / lèi) de connaissances réalisée par une chaîne historique d’ « éveils » (wù). Que ces idées se trouvent de l’autre côté du cordon sanitaire érigé autour de l’Occident et de la modernité est intéressant, mais encore plus intéressant est la question de son origine et de ses implications. Quant à l’« étroitesse », je retrace l’origine du vocabulaire conceptuel de la précision et des « règles du jeu » de sa vérification par épreuve publique au modèle du concours rituel du tir à l’arc — le « Grand Tir » (dà shè), concours mené par le même bureau que celui chargé des épreuves astronomiques. Quant à l’ « éveil » et l’« accumulation » du savoir humain, j’explore la manière dont certains individus qui font partie de l’histoire des sciences et de l’histoire des religions de même écrivent là-dessus à travers ces deux domaines. Il s’avère que dans ce cas le « progrès » est dès l’origine une préoccupation religieuse et que le progrès « scientifique » posait effectivement un dilemme théologique : que l’homme puisse atteindre « ce que les anciens [Sages] n’avaient pas encore appris » (Moine Yīxíng, 683-727). Chacun a sa solution, et les compromis, les priorités et les conflits que force ce dilemme insoluble nous révèlent la complexité des univers mentaux de l’individu.

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